Vaping Post et PGVG

Interview de Ghyslain ARMAND,

Directeur de PGVG Magazine

Bonjour Ghyslain. Tu es le créateur des médias français les plus influents de la vape : VapingPost et PGVG. Comment t’es venue l’idée de te lancer dans cette aventure ?

Tout d'abord un grand merci à vous, car si j'ai l'habitude avec mes collègues de faire parler les gens, il est finalement très rare que nous prenions la parole. 

Je suis tombé sur une cigarette électronique en 2010 lors d'une conversation Skype avec un ami français tandis que je résidais à l'époque à l'étranger. J'ai été bluffé par les volutes de vapeur qu'il faisait avec son Ego et j'ai tout de suite voulu essayer car je fumais beaucoup, et surtout de plus en plus. N'ayant pas de shops sur place ni encore moins de boutiques en ligne dans le pays où je résidais (Malte) j'ai du trouver du matériel aux États-Unis puis en Angleterre. Passée la déception des cigalikes (des cigarettes électroniques en forme de cigarette traditionnelle), je me suis finalement résolu à m'acharner sur une Ego comme le faisait mon ami. Cela m'a pris des mois pour vraiment arrêter de fumer car il y avait toujours quelque chose qui clochait (des fuites, des atomiseurs peu performants, des liquides médiocres, ...). Ces déceptions de la première heure étaient en fait dues à un élément fondamental qui me manquait : l'information. Je ne savais pas ce que j’inhalais, où étaient réellement fabriqués les produits que j'achetais et comment les utiliser ou améliorer leur fonctionnement. 

Il y avait bien les forums, très utiles, mais qui demandent beaucoup d'investissement car il faut participer, fouiller, demander, attendre... Étant fan du web, j'ai très vite monté un petit blog (ma-cigarette.fr) pour rassembler les informations que j'avais, non sans mal, pu accumuler jusque là. Très vite je me suis aperçu que le partage de ma petite expérience rendait service à d'autres fumeurs comme moi. Je m'occupais de mon site principalement le soir en rentrant du travail, que j'ai pu quitter après trois ans de blogging pour enfin construire quelque chose de plus conséquent en France. C'est une merveilleuse aventure que de pouvoir vivre de sa passion et j'ai toujours eu le sentiment de faire quelque chose de bien en écrivant sur le sujet de la vape. Les professionnels du secteur peuvent être fiers du bouleversement positif qu'ils ont tous initié en créant leur entreprise dans ce secteur. Nous combattons la cigarette, et les gens qui les fabriquent, mais nous y reviendrons (sourire).

Ma-cigarette.fr est devenue le Vaping Post lorsque la directive européenne fut transposée dans le droit français avec la modification du Code de la santé publique. C'était en mai 2016, une période dure et frustrante pour tout le monde je pense. J'aidais certes les gens à arrêter de fumer en les informant du mieux que je pouvais, mais la publicité sur laquelle je reposais pour vivre fut tout d'un coup interdite. Mon modèle économique s'effondrait. Avec un ami de Genève j'ai donc décidé de sortir le site de l'Union européenne et de l'installer en Suisse, paradoxalement le pays où les plus grands cigarettiers sont implantés. Quelques années plus tôt j'avais rejoint le magazine PGVG créé par mon ami David Argence. J'ai ensuite repris les rênes de cette publication pour la développer. Là encore un grand paradoxe m'a frappé en 2016. PGVG étant une publication destinée uniquement aux professionnels, j'ai du demander au gouvernement d'inscrire le magazine dans la liste des publications autorisées à diffuser de la publicité en faveur des produits du vapotage "et du tabac", aux côtés donc de la Revue des tabac ou du Losange.

L'histoire de ces publications résume bien la situation politique dans laquelle nous vivons. Nous combattons le tabagisme, tirons une ligne rouge entre le tabac et la vape, que bien entendu tout oppose, et nous nous retrouvons aux côtés des cigarettiers.

VapingPost et PGVG sont aujourd’hui incontournables dans notre petit univers. Peux-tu nous donner quelques chiffres ?

L'audimat du Vaping Post est très variable car nous sommes exposés aux aléas des sujets d'actualité. La vape va tout d'un coup susciter beaucoup d'intérêt car une batterie "explose" ou qu'une étude, le plus souvent alarmante, est soudainement publiée dans la presse généraliste. En règle générale nous sommes lus par 130 000 personnes tous les mois. Jusqu'à présent nous avons publié plus de 9000 articles. Une formidable équipe d'une dizaine de personne se cache derrière ces pages. PGVG magazine, et son petit frère L'Écho du Liquide, sont quant à eux distribués à tous les pros du secteur francophone. Cela représente un lectorat extrêmement ciblé d'environ 4500 entreprises. Là encore, c'est une machinerie assez lourde, d'autant que la presse française est un secteur qui souffre pas mal, mais le papier a un côté noble qui me plaît beaucoup. Le web, à l'opposé, est très rapide et dynamique. J'aime beaucoup jouer sur les deux tableaux.

Comment s’organise la rédaction ?

Au gré du vent. Les sujets viennent presque à nous car le monde de la vape est ultra connecté, c'est d'ailleurs du web qu'il tire sa genèse. Nous sommes donc très à l'écoute des consommateurs, des professionnels, des autorités ou des professionnels de santé sur la toile, mais aussi dans le monde physique si j'ose dire. Si un sujet devient récurrent ou commence à prendre une certaine importance, alors nous nous y penchons pour tenter de l'appréhender du mieux possible. Chacun a sa petite spécialité bien entendu, mais nous partageons des compétences assez proches les uns avec les autres. 

Ce qui est important, ce sont les principes déontologiques et la rigueur professionnelle qui nous animent tous. Le reste c'est la touche singulière de l'angle et du style. PGVG magazine dispose par exemple d'une secrétaire de rédaction qui chasse toutes les coquilles, or sur le Vaping Post tout le monde s'y met, faute de moyens, mais on s'amuse beaucoup. Nous avons des francs tireurs, qui traitent de l'actualité chaude, et d'autres collaborateurs pour des sujets de fond, un peu plus froids. Côté revues matériel c'est toute une équipe de spécialistes qui reçoit des produits pour les évaluer, c'est un travail sans fin.

Comment garantis-tu ton indépendance ? J’imagine que les sollicitations sont nombreuses…

Le premier point important c'est de ne pas vendre de produits. Par exemple, nous n'avons pas d'e-liquide à l'image de nos marques. Mais je pense que n'importe quel média reste dépendant de ses annonceurs, actionnaires et même parfois lecteurs quand la dimension politique du média est très forte. Nous faisons au mieux, en séparant d'une part la publicité de la rédaction (PGVG magazine dispose par exemple d'une régie publicitaire indépendante), et d'autre part en conservant des valeurs fondamentales, je pense notamment à celle de la lutte contre le tabagisme qui nous anime tous. Je pense toujours au lecteur, c'est ma priorité. Si nous lui racontons des salades, il ne reviendra pas. Au delà de l'indépendance, il y a l'honnêteté d'une information correctement construite et véhiculée.

Peux-tu nous résumer ta philosophie de la vape ? Ton positionnement par rapport à Big Tobacco ?

Merci de poser la question car j'adore ce sujet. Je m'oppose à la présence de l'industrie du tabac dans le monde de la vape pour deux raisons. La première est morale, la seconde est stratégique. L'industrie du tabac tire ses revenus du tabagisme de leurs clients. "Nous ne sommes pas des enfants de cœur" m'avait confié un jour un lobbyiste d'un grand fabricant de cigarettes. C'est le moins que l'on puisse dire. Produire des cigarettes est l'un des commerces les plus cyniques au monde, dont la gestion ne peut se résumer qu'à des tableaux Excel. Comment pouvez-vous vivre en harmonie avec vous-même, quand vous tuez sciemment les gens avec les produits que vous fabriquez ? Je ne soutiens pas l'idée d'une éradication de leur métier par des lois liberticides, l'économie libérale régie notre monde, et je l'accepte. Mais qu'un fabricant de cigarettes, dont la consommation est responsable de millions de morts chaque année, puisse prétendre vouloir réduire les risques du tabagisme dont ils sont responsables, je trouve cela inacceptable.

L'argument de certains acteurs de la réduction des risques, notamment américains, estiment qu'à partir du moment où le produit est moins dangereux que le tabagisme, il faut alors encourager son développement. Le raisonnement tient la route bien entendu, il pourrait même être la résultante d'un calcul d'une intelligence artificielle. Mais nous ne sommes pas des machines, nous avons une histoire, un jugement moral, des valeurs. Le profil de la personne qui propose ces solutions techniques est important à mes yeux. Prenons deux exemples extrêmes pour contraster au mieux ma prise de position :

1- Hitler est toujours vivant et se lance dans une franchise de camping. Iriez-vous y poser votre tente ? Après tout le coin est sympathique.

2- Monsanto produit des tomates bio. Achèteriez-vous ses tomates ? Après tout elles sont délicieuses.

Dans les deux cas, je refuserais de donner mon argent à ces personnes car on ne peut pas détruire puis tenter de réparer, ou parfois même les deux à la fois. C'est toute l'insolence d'un business qui n'a aucune morale. Et sans morale nous sommes fichus. Le saviez-vous ? Coca Cola produit 4000 bouteilles plastique à la seconde et finance des associations de protection de l'environnement pour ramasser les déchets sur les plages, en incitant les consommateurs à faire attention. En déplaçant le problème sur le consommateur, le producteur évite le questionnement moral pour protéger ses profits. Dans le même ordre d’idée, MacDonalds a du changer ses couleurs pour protéger son business en Europe. Victime d'une image de malbouffe trop pesante, ils arborent désormais fièrement dans leurs restaurants des posters d'agriculteurs en chemise à carreaux, le brin de paille aux lèvres. On ajoute un petit don à une association pour les enfants atteints de leucémie et le tour est joué. MacDonalds, ce sont des gens bien.

C'est très difficile de donner du sens à ses achats quand tout est fait pour masquer la réalité, c'est pourquoi l'information est la clé. Une photo sans retouche de l'abattoir d'où provient votre jambon, et vous ne l’achèteriez plus du tout. J'essaie d'expliquer à nos lecteurs qu'acheter des cigarettes électroniques fabriquées par un fabricant de tabac, c'est nourrir une vision cynique du monde où aucune autre valeur que celle de l'argent ne prévaut. Leur business c'est de tuer les gens ? Très bien qu'ils continuent si la loi les y autorise, nous on propose des solutions pour sortir de leurs griffes, tout simplement.

La seconde raison de mon opposition est stratégique. Le gouvernement comme toutes les instances de santé a développé une haine envers les fabricants de tabac, et on les comprend. La bible sur ce sujet c'est le livre de Robert Proctor, The Golden Holocaust. Montrer que nous sommes d'une polarité opposée aux cigarettiers, c'est faire preuve de notre engagement pour lutter contre le tabagisme, c'est un gage de bonne foi. Et ça marche ! L'un des plus grands cigarettiers au monde m'a approché quelques mois après la manifestation devant le Parlement européen en octobre 2013; c'est à cette époque qu'ils ont commencé leur travail de lobbying dans la communauté de la vape. Ce mastodonte que rien n'ébranle avait soudainement pris conscience que le tissu social de la vape, les vapoteurs sur Facebook, les petits forums ou que les petits blogs comme le mien à l'époque, pouvaient avoir une influence énorme sur des décisions politiques qui touchent directement leur secteur. Si nous restons indépendants des cigarettiers et que nous cultivons cette opposition, nous pouvons continuer à développer de bonnes relations avec le législateur car nous sommes dans le même camp: la lutte contre le tabagisme. Et puis on ne va pas se le cacher, c'est très excitant d'embêter les géants quand on est une fourmi ! (sourire)

Quel bilan tires-tu d’une petite décennie de cigarette électronique ? Dans quelle direction se dirige le marché d’après toi (pods à cartouches pré-remplies etc.) ?

Quand on parle aux vapoteurs de la première heure, on entend souvent dire "ha si j'avais eu ça pour débuter, cela aurait été plus facile !" et il vrai lorsque l'on compare une vieille Ego T à un un kit ultra performant de nos jours, c'est le jour et la nuit. Je suis content de voir qu'au fil des années le matériel est plus accessible, plus performant et que les fabricants dans leur ensemble se sont grandement professionnalisés. Quand on voit des laboratoires spécialisés dans la fabrication d'e-liquide investir des millions d'euros dans des usines high-tech, avec le sérieux et les compétences que cela demande, je trouve ça très bien, et cela prouve que le marché est devenu très mature, c'est au profit du consommateur. Pour ce qui est de la boule de cristal afin de deviner l'avenir technologique de la filière, à mon avis c'est surtout dans la conception des e-liquides que les choses avancent très vite et que l'on va vers des produits de plus en plus sains. C'est assez logique vu que l'argent se situe principalement là. Pour le matériel, la miniaturisation suit son cours, les grands changements s'opéreront sans doute en lien avec l'évolution des batteries. Avec les investissements massifs dans ce secteur, propulsé principalement par les voitures électriques et les énergies renouvelables, j'imagine qu'il pourrait y avoir de belles innovations. Mais dans le fonctionnement général, il faudra toujours chauffer une résistance, les avancées seront donc toutes relatives à mon avis.

Des projets pour la suite ?

J'ai lancé récemment L'Écho du Liquide avec mon ami David Argence, un nouveau magazine dédié exclusivement au monde du e-liquide, plusieurs sites web ont aussi vu le jour en complément du Vaping Post comme info-ecigarette.com, Kinamik.com ou encore Ecig-Mag.com. J'attaque des sujets aussi connexes à la vape avec notamment le site Megot.com, où je commence à informer les gens sur la pollution catastrophique liée aux mégots de cigarette (encore un atout de la vape d'ailleurs). Je réalise de temps en temps des reportages vidéo également avec mon acolyte Sébastien Duijndam et puis surtout, je m'intéresse à la permaculture, mais cela reste encore dans le domaine privé (pour le moment ! rires).

Merci à Kumulus Vape pour ces questions auxquelles j'ai pris plaisir à répondre, et merci d'avoir su conserver de belles valeurs entrepreneuriales au fil de toutes ces années. Réussir en France est un exploit, et encore plus quand on est entouré de gros poissons ! Longue vie à vous !

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